Poèmes de la rue de Berne - 1994/1996


                             Poèmes de la rue de Berne




Le peuple grouille dès huit heures
Jusqu’au début du soir,
A Barbès-Rochechouart.
Nous, prisonniers de la langueur

Latente dans ce mouvement,
Attendions sans remords
Notre jeteur de sorts,
Souriant peu des folles gens.

C'était en plein hiver têtu.
Je lâchais "Que ça caille...
Ciel bas, grisaille !" alors
Qu'un pigeon con me chiait dessus.

Depuis je damne tous les porches
Du milieu de la rue,
Les gens croient que j’ai bu,
Mon œil flambe comme une torche.


 automne 1994 - A Barbès Rochechouart

               



Je veux aller dessus le dos du monde rond,
Funambuler entre la terre et toi, mon astre
Scintillant, ma jolie démesure amoureuse.

La tension qui relie comblera les cratères,
Nous serons l’air, le feu, l’eau, la terre, repus;
Symbolique incarnée sous nos poses rêveuses.

Nulle cassure, nul éclat, c’est lisse la
Vie, comme le calme brasier de l’âme, il faut
L’écrire en rupture, à signifier les cieux conquis.


     Printemps 95 - Funambuler





La vie commence en somme, elle sera une œuvre
Etincelante et lente aux cadences de choix
Conciliés et roulants sous les aimes d’Emma,
Les mots et gestes que susurre ta peau d’or.

C’est toujours l’éjection de mon bouillonnement,
Je te dis simplement par mon prisme, mon monde
Te contient double au rythme des vers où tu es,
Baise ta nuque et baisse aux hautes vocalises. 

Ta vue manœuvre mes émois, sert de cet or
Vrai, seul doublé dedans ma structure féconde
Formulée d’une main que tes yeux colonisent.


     Printemps 95 - Or







J’oublie - c’est heureux - souvent, que je ne suis guère...
Mais c’est là inhérent à mon monde tragique.
C’est que je perds toujours la si chère parole,
Mon amour, et la vieille mine se repose

Sur mon visage vert, noir et mélancolique.
Savoir bien que toujours le désert n’est pas loin,
Vide faisant le fil dont le pied se complaint,
Qui indéterminé, en recherche, y dispose

L’étude de l’espace et le vers aporie.
Souffle Emma, respirons dans le blanc infini,
Le monde entre-aperçu à peine je te serre

Est une fine et claire chose de l’esprit,
Ondinine silhouette en mon lac-vie, lacté
Comme il se doit un peu des restes d’une étoile.


Printemps 95 - Respirons dans le blanc infini






En moi l’eau rêve d’une douce et onirique
Ondine, source, lac, mère des pages - blancs
Tableaux, - abîme mis aux phrases flamboyantes,
Tu émerges de ma sanguine gouache bleue.

Instinct-vie décuplé d’avoir comblé l’espace
Soufflé à toi pour croître à notre démesure
Signifiée, poser les vertiges que l’on croit
D’une forme baroque de gémellité.

Flamme poétique, noie-moi aux pics, dedans
L’inclinaison vers toi, latente emphase, vœu
D’audace, envergure d’abysses à sommets.


     Printemps 95 - Une forme baroque







Saint-Lazare dressé dans la nuit enveloppe
Marche vers nulle part et son pas développe
La litanie du mécanisme humain filant dans le soupir.
Le train grince. D’ici je t’entends ne rien dire.

Le monde est tremblotant, les façades bohèmes;
Immobile, je sais une femme qui sème
Dans mes wagons et mes chaussures ses pétales,
Fleur dont l’air dévoile un vieux mal sentimental.

Elle fut quelquefois dans l’antre parisienne
Que j’avais autrefois, quatorze rue de Berne,
Avec son baume aux yeux, cœur filant alentour.

Tu vois, Emma, mais tu le savais bien, l’amour
Va et frissonne comme aime de chrysanthème.
C’est normal, c’est l’antique, étrange chose humaine.


     Printemps 95 - Le monde est tremblotant





J’ai couru le pays d’Haridwar à Kochy
Et de l’Himalaya aux haltes kéralaises,
Où la respiration ample d’une alchimie
Fit nos visages d’univers, ma belle anglaise.

Où se promène Ana, maintenant, je ne sais...
Est-elle à la full moon dansante du désert ?
La vie va sûrement, libre voyage à l’air.
Où se promène Ana maintenant je ne sais.

Savoir la passagère au visage touché
Par la grâce des fées qui apaise et repose,
Filer l’élan d’un vol énigmatique et rose

Vers les mots à venir murmurant un été.
Emprunte un alizé dans ma sphère si vaine
Aux chauds chuchotements ma chère souveraine.


     9.95. - J'ai couru le pays









Saisir l’élan, Sarah, d’un glissement soudain
L’un vers l’autre, jusqu’à deviner une étreinte,
Assouvir la caresse du temps lycéen,
Se découvrir ondin pour une ondine feinte.

Je me rejette à l’encre, Sarah, comme presse
Le temps, tu le sais bien que le temps est sans gêne
- Traits d’union suspendus, notre espace, on s’y laisse
Consumer par son feu à la flamme vaurienne. -

Oh je glisse anodin sur les pointes de poudres
Et marche plus que de raison aux labyrinthes...
Mais je sais que les femmes si blanches et bleues

Qui semblent cristallines, tendent à voir sourdre
Dans le vers enflammé l’amour qu’on crût défunte
(Parenthèse ludique feintant l’heure feue).


     17.9.95. - Retrouvailles de Sarah...






Tu le sais bien, Sarah, que les amours sont telles
Ces songes souverains que le vers éternise;
S’en aller, revenir, le train bleu renouvelle
Le flot ancien, encré, refluant à ta guise.

Nulle promesse susurrée mais le visage
Un peu comme celui des fées - fantasques lunes, -
Sûreté dans l’éclat d’étoile et de nuage,
Luminescence ancrée à son aise aux nuits brunes.

Aussi les yeux, le timbre, proches des ruptures,
Consonance à l’affût des voies qui ne s’ignorent,
Où l’émotion recèle vagues et murmures.

S’en aller, revenir, légère gestuelle,
Tropismes incessants des plumes et des corps,
Tu le sais bien Sarah que les amours sont telles.


     18.9.95. - Retrouvailles de Sarah - 2.









Rue de Naples, en décembre, on croisait une ondine
Qui née depuis des siècles ne mourrait jamais
Et allait, ondulée, comme un cygne, Céline,
Très éternelle et diablotine aux yeux de jais.

Paris en grève, j’étais aux rives de rêves
Et me laissais bercer par les fumées afghanes,
Le ventre drôle et les muscles comme des lianes,
Noués et alanguis par l'amour qui relève. 

Se serrer ? Une ondine est fluide comme l’eau...
M’aimerait-elle ainsi surnageant avec peine
Dans ma sphère à l'onde automnale et vaine ?

Qu’importe je m’en fus, plein de vie, plein de chaud.
Ainsi va-t-on, Céline, un soir de pleine lune,
Choses claires au cœur plongeant dans ta nuit brune.


     7.12.95. - Rue de Naples en décembre





Je sais près de chez moi une fée qui attend
Pour s’en aller jouer dans le grand carnaval,
Bras dessus, bras dessous, bouches roses au vent.

Elle a je ne sais quoi de celle qu’on désire
Et aspire à l’air haut des amours sans menaces
Pour aller d’un vol sûr à la plage argentine.

Irons-nous là, Céline, à ces continents chauds
Où la peau prend le hâle épicé du soleil,
Comme font les oiseaux pour suivre le soleil ?

La tension lunaire est-elle un voyage,
Rayonnante almée, quiétude de l’âme, 
Par ton ventre fier où mon âme bout ?


5.1.96. Je sais près de chez moi





Aller, l’humeur jongleuse et l’équilibre sûr
Aux bordures du rond dont je suis le milieu,
C’est vivre et c’est sentir, rire bien d’en être ivre.

Le Taj Mahal dégrade en son exhalaison
Les tons du Mandala modulés selon l’heure
Du monde qui respire en un tour de magie.

Un voyageur monnaie, mine lointaine et grave,
De grands shilums sculptés pour des fumeurs lointains
Et des soieries brodées dans d'obscures enclaves.

Le sac plein de goyaves, aller en backwaters
Sous les arcanes des palmiers et des canaux,
Allepei, Kottayam, et le temps infini...

Quand viendras-tu, Céline, sous les ciels bleu de nuit  
Ou ses couleurs de feu, tendre aux lunes d’Asie ?


10.4.96 - Quand viendras-tu, Céline... 







Rue La Rochefoucauld, un premier soir de mars,
Céline disposait les lueurs frémissantes
Très irréelles de bougies au cœur de ma nuit vacillante.
Je voyageais plein d’elle en leurs ombres éparses.

Près de sa pose rose aux mines sensitives,
Brûlant de l’enlacer à moduler son souffle,
Je me sentais flamber d’illusions qui essoufflent.
Céline tournoyait, espiègle et fugitive.

J’évitais vainement ses grands yeux aveline
Pour contrer les relents de vertiges anciens.
Tout amour est chimère et tout exil est vain.

Les sentiments se nouent, se dénouent, se renouent.
Autour des gens parlaient sans souci d’incendie.
J’étouffais en songeant aux alchimies sanguines.


     8.3.96 - Rue La Rochefoucauld

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